La malédiction du tapis volant

Publié le par Conchita

Je continuais d'observer le combat. Aurore dormait du coin de l'oeil et Alice était occupée avec la chenille. Il n'était pas l'heure de fumer le narguilé, mais ses volutes envahissantes dessinaient des réponses peu rassurantes.
Isis devait recoller les morceaux. Les morceaux devaient devenir des momies. Les momies devaient être couchées dans des sarcophages. Les sarcophages...
Je ne me laisserais pas embaumer par si peu de mots.
La Nébuleuse du Crabe, la Constellation du Taureau, les trous noirs envahissaient mon esprit trop fragile.
- Mademoiselle Werther, toutes ces douleurs, ces étouffements, ces maux de dents sont psychosomatiques. Douleurs ? Contractures de l'esprit. Etouffements ? Quelques bruits de votre âme, les âmes il faut les aérer, les laisser respirer. Vos maux dedans ? Que vous dire, je ne suis pas dentiste.

C'est une grande imprudence que d'appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l'esprit raisonneur dans les passions. Cette curiosité conduit peu à peu à douter de toutes les choses généreuses ; elle dessèche la sensibilité, et tue, pour ainsi dire, l'âme : les mystères du cœur sont comme ceux de l'antique Égypte ; tout profane qui cherche à les découvrir, sans y être initié par la religion, est subitement frappé de mort.


Mais, Monsieur de Châteaubriand, mon âme était dans tous ses états. Je n'avais qu'une seule envie : prendre la poudre d'escampette, de Perlimpinpin, chevaucher avec les oies de Nils Holgersson, traverser la Suède jusqu'en Laponie et me fondre dans une glace au chocolat.

Ce soir, grand ménage. Poussière d'étoiles, toiles d'araignées, mythes, tout devait disparaître.
Mais le miroir me renvoyait une image si floue que les ombres même étaient jalouses. J'étais devenue une habituée du miroir. J'étais le miroir. J'étais le tain, le cadre enluminé, le reflet derrière la porte.


Qui était l'esprit dérangé qui susurrait des mélopées érotiques, venait me chatouiller dans ma veille, venait perturber ma surveillance ?

Pendant ce temps, les deux autres s'épiaient. Alice, campée haut sur ses petits pieds devant la chenille endormie, tenait tête.

- Es-tu satisfaite de ta taille actuelle ? » demanda la Chenille.

- Ma foi, si vous n’y voyiez pas d’inconvénient, j’aimerais bien être un tout petit peu plus grande ; huit centimètres de haut, c’est vraiment une bien piètre taille. »

- Moi, je trouve que c’est une très bonne taille ! » répliqua la Chenille d’un ton furieux, en se dressant de toute sa hauteur (elle mesurait exactement huit centimètres.).

- Mais, moi, je n’y suis pas habituée ! » dit Alice d’une voix pitoyable, afin de s’excuser. Et elle pensa : « Je voudrais bien que toutes ces créatures ne se vexent pas si facilement ! »

- Tu t’y habitueras à la longue », affirma la Chenille ; après quoi, elle porta le narguilé à sa bouche et se remit à fumer.


S'habituer. Fumer. Chercher un moyen de fuir. Les jambes à mon cou, c'était trop de courbatures.

Aurore était en léthargie prolongée. Je plaignais les pauvres lèvres qui devaient la tirer de sa dive paresse.








Je ne savais plus à qui était mon âme. Au violon, au fusil ?
De toutes façons, j'avais trouvé mon placebo : un tapis de prière de La Mecque avec boussole chercheuse de direction intégrée. Une boussole fixée de façon permanente par une machine suisse à ultrasons. Poils hauts, bonne qualité, design islamique, choix de couleur.
La taille mini devait suffire.
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C
Reflets labyrinthiques dans le miroir (qui se dit aussi psyché pour les intimes) sourire aux lèvres à la lecture. esprits complexes, riches et un peu torturés (?) les mots vous portent aux nues. Merci de la petite visite, j'espère à bientôt.
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C
<br /> Les reflets labyrinthiques sont peut-être les ombres de nous-mêmes, Carole. Par-delà le miroir, des chemins à suivre, qui nous construisent et nous détruisent. Esprit complexe ? Je dirais fureteur,<br /> questionneur, inquisiteur.<br /> <br /> <br />