Casser la gueule à l'Ecclésiaste

Publié le par Conchita

 

J’avais passé une partie de la matinée à lire, relire l’Ecclésiaste pour me rendre compte, au travers des traductions, des sens que pouvaient revêtir ses paroles. Qu’elles prenaient ceux qu’on voulait bien leur donner, après avoir minutieusement mis au rencart dans le coin poubelle de l’hémisphère adéquat tout ce qui relevait de l’acceptation de la vanité des choses et surtout ce qui exhortait à une sagesse inaccessible pour les pauvres humains.  Je n’étais pas surhumaine et je refusais de me dire, malgré les évidences, que tout avait déjà été dit, écrit, vécu, que le recommencement était éternel, que les boucles étaient bouclées d’avance.
Je n’en avais retiré que peu d’encouragement à être raisonnable et à courber l’échine.
Je décidai, quoiqu’il advienne, et dussé-je y perdre le peu de santé mentale qui me restait, de retrouver le cirque Bareto et la trace de mon avion perdu.
Pour ça, il me fallait entrer dans mon trou noir, dans mon œil de cyclone. Je n’avais pas peur, pas plus que le capitaine au long cours pris dans une tempête dont l’Ecclésiaste aurait dit qu’elle n’était pas nouvelle sous le soleil.
Je devais gagner un aéroport, et s'il n'y avait pas complot, les liaisons avaient dû fonctionner toute la nuit.
A Nation, les quais du RER A étaient bondés. Vacances, visite du Stade de France mais surtout ligne directe vers Charles de Gaulle. Foule bariolée.
La rame dans laquelle j’avais fini par monter était d’une saleté répugnante, odeurs mêlées de matins sans savon et d’après-midi de sueur. Les canettes roulaient au sol au moindre virage, des africains endimanchées mordaient voracement dans une nourriture indescriptible et nauséabonde, les gosses hurlaient. La populace semblait s’acclimater à tout ça. J’avais des difficultés à cohabiter, mais le but était trop proche.
Le train freina sèchement. La lumière s’éteignit.
- Mesdames, messieurs, notre train est stationné momentanément en pleine voie, suite à un incident technique. Merci de ne pas essayer de sortir.
L'incident momentané dura une heure. Une heure dans le trou noir. Une heure avec mes pensées, les cris, les odeurs, les annonces du machiniste de plus en plus de moins en moins claires.
Qu'est-ce que je fichais là ?

Me souvenir des lectures du matin : toutes choses sont en travail au delà de ce qu'on peut dire ; l'œil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article